Économie

  L'information économique, problème social

Études 07-08/1963

Paraissent en France quelque trois mille périodiques économiques consacrés à l'information économique. Un tel chiffre ferait croire à un peuple admirablement averti. Ses citoyens prévoiraient les évolutions. Ses chefs d'entreprise auraient du développement possible de leurs affaires la vue la plus éclairée. On y jugerait le gouvernement non à coup de sentiments mais sur les actes qui engagent l'avenir national. Belle vision, mais illusoire ! Les statistiques sont là pour nous détromper. Avec cet appareil presque écrasant d'organes d'information économique, les Français demeurent des analphabètes dans ce domaine. 90% des ouvriers agricoles, révèle une récente enquête, ignorent jusqu'au mot « automation ». En février 1959, 70% des français croyaient au risque de chômage alors que la France était en pleine période de suremploi. En janvier 1960, la moitié de nos compatriotes ne savaient pas si les exportations s'étaient développées ou non. Et que d'erreurs entraînées par une ignorance aussi commune ! Investissements excessifs dans les mines de charbon au lendemain de la Libération ; développement de l'industrie automobile au-delà de la capacité d’absorption du marché ; importation dite « de choc » qui, laissant intacts des circuits de distribution archaïques, n'ont d'autre effet que perturber l'industrie et permettre des spéculations. En conclusion, on souscrit au jugement un peu désabusé de M. Sauvy : « les Français auraient sans doute un revenu national de moitié supérieur à ce qu'il est, s'ils avaient depuis une génération connu les données de fait de la politique économique ».

Nous empruntons ces exemples à un rapport de M. Salmon que vient d'adopter le Conseil Économique et Social47. Ce rapport est d'un intérêt exceptionnel et tout au long de ces lignes nous y aurons recours, car il projette une lumière sur l'information économique, montrant à la fois qu'elle est un des phénomènes caractéristiques de notre époque et qu'elle commande le développement  social. Souhaitons donc qu'un tel rapport, auquel nous recommandons de se reporter, ne demeure pas enseveli dans les colonnes grisâtres et massives du Journal Officiel, mais qu'il bénéficie d'une édition claire et lisible.

Un trait caractéristique de notre époque

L'information économique est un phénomène de notre époque. Elle est née d'elle et avec elle. Le XIXe siècle ne l'a guère connue. Les premiers Boussardel de l'industrie l'ont ignorée, sinon sous la forme la plus rudimentaire, quand, dans leurs hôtels du Parc Monceau, ils parlaient « affaires » tandis que leurs épouses en tournure, préalablement exilées dans un autre salon, échangeaient des recettes de cuisine, se plaignaient de leur domesticité ou préparaient des ventes de charité pour « leurs » pauvres. Tout au plus voyait-on les prémices de l'information économique sous forme de journaux de Bourse, en ce temps où la Bourse était censée refléter tous les mouvements économiques et où on appréciait, d'après le cours de la Rente, l'importance des événements. C'est que le XIXe siècle, où pourtant on voyageait sans passeport et sans certificat de l'office des Changes, fut une période d'économie relativement cloisonnée. Tout au moins seuls les événements européens influaient sur elle. Il fut surtout une période d'économie passive où la multiplicité et la faible envergure des entreprises ne leur permettraient, en règle générale, aucune maîtrise de l'événement. Les caractéristiques de notre temps sont exactement inverses. Les deux traits de notre économie sont la « conscience » et l'universalité elle-même génératrice de complexité. Premier fait, en effet, de notre économie que son caractère « volontaire ». Les gouvernements entendent agir sur elle et le libéralisme de nos grands-pères ne nous est même pas concevable. Le Plan régit nos activités. Nous entendons déterminer, secteur par secteur, nos rythmes de croissance. A l'échelon des entreprises, on prévoit et organise le développement tandis que la publicité crée en partie le marché. Cinq ou dix ans à l'avance un industriel « pense son affaire ». Mais en même temps nous vivons une époque de « planétarisation » de l'économie, que cette planétarisation résulte des moyens de transports ou qu'elle soit consciemment recherchée, sur un plan universaliste par un organisme comme le GATT ou sur un plan régional par une communauté telle que la CEE.

Or, ces deux traits – conscience et planétarisation – exigent l'un et l'autre la meilleure information économique. L'efficacité d'une économie « volontaire » est à peu près proportionnelle à la qualité de son information. Orienter un développement suppose d'en connaître les voies et moyens de même que les obstacles dressés sur la route. On ne peut avancer que sur un terrain éclairé. La planétarisation, elle aussi, exige une information économique dont elle a d'ailleurs contribué à multiplier les moyens. C'est ainsi que les industries européennes ne se connaissent guère mutuellement que depuis le Marché Commun.

Dès lors, l’État comme les particuliers devront développer leurs moyens d'information économique. Sur le plan national, l'État français apparaît à présent convenablement équipé. Nombreux sont les organismes de recherche publics ou privés, depuis le  constitutionnel Conseil Économique et Social jusqu'à l'Institut des Sciences Économiques Appliquées de M. François Perroux et la Société d’Études et de Documentation Économiques, Industrielles et Sociales de M. de Jouvenel. Parallèlement, l'ONU, l'OCDE, la BIRD, etc … sont à l'origine de la plus importante information économique internationale. Pourtant, on peut signaler des lacunes et elles sont graves, notamment en ce qui concerne les salaires dont personne n'est aujourd'hui à même de suivre les mouvements avec une suffisante rapidité. Mais c'est sur le plan régional que nous manquons le plus d'informations et sur la voie de la « déconcentration » cette insuffisance a eu et peut avoir de graves conséquences. Pour déconcentrer, il ne s'agit pas, en effet de disséminer des industries au hasard du territoire, mais de créer autour de métropoles régionales des ensembles harmonieux. Cela suppose une connaissance précise des ressources et sa diffusion aussi bien auprès des nombreux organismes compétents en matière d'aménagement du territoire que des industriels susceptibles d'être intéressés à une région. Malheureusement des faits, par exemple la création d'usines sans possibilité de logement pour le personnel, prouvent que cette sorte d'information économique est encore très insuffisante.

Les sous développés de l'information économique

Donc, au plan de l'État, l'information économique comporte des lacunes. Mais au stade des privés ? Ici une distinction s'impose (si importante qu'elle peut avoir de considérables répercussions sociales) entre les grandes entreprises, à ce point de vue bien équipées, et tout un ensemble de « sous développés » : petites et moyennes entreprises, syndicalistes, milieux ruraux, consommateurs.

1/ Moyennes et petites entreprises

A côté du fonctionnaire de l'État, la grande entreprise, en effet, bénéficie en général de l'information économique. Les cadres supérieurs sont assez nombreux pour avoir le loisir des indispensables lectures. L'analyse d'une statistique n'a pas pour eux de secret. De leurs études, ils gardent le goût de ces choses. Ne peignons pas pourtant ce tableau en couleurs trop idylliques. La négligence apportée par certaines sociétés ou par certaines organisations professionnelles dans le recrutement de leurs documentalistes, la place insuffisante qui leur est allouée parmi les cadres prouvent qu'on n'a pas toujours compris la nécessité d'être informé.

Le tableau s'assombrit pourtant dès qu'on parvient à la moyenne entreprise. Le défaut d'information est une de ses infériorités par rapport à la grosse société. Les revues, les statistiques abondent, mais personne ne prend le temps de les dépouiller et, bien souvent, on surprendrait les dirigeants de ces moyennes entreprises en leur disant qu'un secrétaire capable de les aider dans ce travail et de leur trier cette documentation leur serait aussi indispensable qu'un comptable. Sans doute, cette information et son adaptation incombent-elles aux organisations professionnelles. Au témoignage de M. Salmon, dans certaines branches, comme le textile, cette information est remarquable. Leur adaptation à chaque entreprise est assurée par les secrétariats régionaux de ces fédérations. Pourtant, quelque soit leur valeur, les organisations professionnelles nationales et régionales sont impuissantes si devant l'information qu'elles fournissent le chef d'établissement ne fait que lever les bras en se plaignant de « l'excès de papier ». Cette information, il faut encore qu'il l'accepte. Or, s'il tolère sans trop protester une information orientée vers la vente, il a tendance à considérer comme superfétatoire, l'information orientée vers la gestion. Pourtant, il devrait savoir que dans la moyenne entreprise celle-ci est spécialement nécessaire. C'est un fait que, contrairement aux prévisions de Marx, le nombre de petites et moyennes entreprises s'est accru. La Maison Renault, qui avant la guerre ne faisait travaille que douze établissements de la sorte, utilise aujourd'hui les services de plus de trois mille d'entre eux. Mais si le nombre des moyennes et petites entreprises croît sans cesse, dans cette masse les évolutions, créations et disparitions sont nombreuses. Ces Maisons doivent constamment changer leur fabrication. Durer devient donc pour elle synonyme de s'informer, de connaître les mouvements de la demande, les changements de besoins, les variations du marché. D'où l'importance de cette information, non seulement technique mais proprement économique, que leurs dirigeants ont tendance à négliger. La tâche du chef de moyenne entreprise, trop souvent condamné au rôle d'homme-orchestre, est pesante et difficile : il se trompe pourtant s'il croit que l'information économique est pour lui une perte de temps.

2/ Cadres syndicaux

Capitale apparaît également l'information économique des cadres syndicaux, non pas seulement celle de quelques grands leaders (ceux-ci possèdent la connaissance désirable) mais de tous ceux qui assument une responsabilité active. Les Centrales l'ont bien compris, qui s'efforcent de dispenser cette information. Dans certaines branches industrielles, et je cite à nouveau le textile, une véritable organisation existe, à quoi concourt toute la profession, pour dispenser à ces cadres syndicaux la formation économique qui rend apte à l'information. On ne saurait exagérer le caractère bénéfique d'une telle organisation, non pas seulement parce qu'elle permet aux travailleurs une défense raisonnée, donc efficace, de leurs intérêts, mais à cause du rôle éminent que le syndicat est appelé à  jouer aujourd'hui dans la nation. La puissance même du syndicat exige que tout soit mis en œuvre pour assurer la qualité de ses dirigeants et donc leur parfaite information. Quand le pays se désaffectionne des partis, quand le Parlement est frappé de discrédit, quand les grands Corps de l'État sont abaissés, quand le jeu des dépenses obligatoires donne aux autonomies départementales et communales le caractère d'une fiction, le syndicat apparaît une des rares structures nationales vivantes et peut-être le dernier rempart contre une inconsciente mais progressive fascination dont on ignore seulement si finalement elle sera de droite ou de gauche. Le rôle des grandes Centrales syndicales est donc essentiel. Or, comme elles sont organisées démocratiquement, leurs options et leurs décisions dépendent des orientations de la base – donc leur valeur de son information. Par là encore, l'information économique joue un rôle primordial dans l'État  moderne.

3/ Milieux ruraux

On serait tenté y dire que plus d'information économique est nécessaire à un milieu, moins elle est partagée. Ainsi en va-t-il du monde rural. Pourtant les journaux et les revues économiques ruraux sont excellents, la presse régionale diffuse de très bonnes pages agricoles. Le syndicalisme donne des renseignements précis et bien adaptés. Le problème est que, comme l'écrit dans son rapport M. Salmon, « si elle ne manque plus de bras, l'agriculture manque encore d'yeux pour lire et d'oreilles pour entendre ». Comment procéder à une information économique efficace quand le recensement de 1954 montre que 68%,de la population agricole n'a pas son certificat d'étude, que 31% s'est arrêtée à ce stade ; quand une enquête de 1955 nous apprend qu'à cette date 96,7% des agriculteurs n'avaient reçu aucune éducation professionnelle ; quand « en 1960, l'enseignement privé et public du second degré ou technique équivalent n'a formé que 3% des 50 000 agriculteurs qui sont devenus chefs d'entreprise cette année là ? » Sans doute, contre une telle situation de fait, les jeunes ruraux luttent avec efficacité. Néanmoins, il est grave que celui des milieux français qui subit les plus profondes modifications, où s'imposent les reconversions les plus subtiles, où le Marché Commun peut avoir de très heureux effets mais à condition qu'on comprenne les novations qu'il opère et qu'il s'y adapte, il est grave, dis-je, que ce milieu soit si difficile à éclairer sur son destin.

4/ Les consommateurs

Derniers des défavorisés de l'information économique : les consommateurs. Défavorisés, ils le sont doublement. En premier lieu, l'économie de la consommation est , au moins sur le plan statistique, beaucoup moins explorée que celle de la production (et cette lacune peut entraîner, dans la production même beaucoup d'erreurs). En effet, l'information sur la consommation dont dispose l’État  est assez artificielle (au surplus, il ne l'a pas toujours diffusée honnêtement). Elle est axée sur la notion de minimum vital, « utile dans les discussions de salaires, mais peu représentative de l'évolution économique réelle » à la fois parce qu'elle ne correspond qu'à la catégorie la plus défavorisée de la population urbaine (donc à une très petite partie de la nation), à la fois parce que les budgets types déterminés sur cette base ne tiennent pas compte de la composition réelle des familles. Mais surtout, s'il existe en dépit de ces insuffisances une information sur la consommation, il n'en existe guère au profit du consommateur et celui-ci ne cherche pas à y accéder. L'effet social de cette sous-information cumulée est grave. Il s'exerce au détriment des familles, en dépit des efforts de l'UNAF. Celle-ci manque souvent d'arguments statistiques pour convaincre les Pouvoirs Publics. Surtout la famille un peu nombreuse est la consommatrice par excellence, or, faute d'une connaissance de la consommativité, le rapport de force entre le producteur et le consommateur est, dans la société française, déséquilibré.

Pour une formation économique généralisée

Favorisant en fait les grandes entreprises, bénéficiant plus difficilement aux milieux ruraux qu'aux milieux urbains, plaçant les consommateurs, donc les familles, en mauvaise position par rapport aux producteurs, l'information économique, ce fait caractéristique de notre époque, joue donc, suivant sa diffusion et surtout la capacité où on se trouve d'y avoir accès, un rôle social d'une première importance. Une sorte de clivage s'opère d'après cette capacité d'accès. Sans bruit se constitue une double société aristocratique de hauts fonctionnaires technocrates et de cadres supérieurs de grandes entreprises. Ce clivage ne résulte pas d'un ésotérisme de l'information. Statistiques et revues sont à la portée de tous. Il tient à l'incapacité de trop de milieux à comprendre leur propre intérêt de participer à l'information économique. Il tient encore plus, dans ces mêmes milieux, au défaut de connaissances de base indispensables pour profiter de cette information. Ajoutons que les économistes professionnels encourent une responsabilité par le snobisme qu'ils mettent à employer un langage inutilement abscons ; également en se complaisant aux discussions d'école, théoriques et abstraites, au lieu de s'attacher, plus humbles, à la diffusion des faits économiques.

Ce clivage social vient donc avant tout d'une certaine incapacité à bénéficier de l'information économique. Or, cette incapacité, nous l'avons bien vu à propos des milieux ruraux, résulte elle-même souvent d'une insuffisance d'éducation de base. Un certain nombre de données élémentaires manquent au grand public pour que l'information économique lui soit accessible. L'effort pour éviter ce clivage ou y remédier devra donc se porter principalement sur l'enseignement. A l'heure actuelle, dans tout le « second degré » à peine quelques heures, prises sur une éducation civique à laquelle on ne réserve qu'un sort minable, sont consacrés à certains faits économiques. Une telle carence est désolante. Non pas que nous prétendions faire surcharger encore les programmes par des études économiques. Ils ne sont déjà que trop lourds et trop disparates. Mais  au profit d'un minimum d'initiation à l'économie, ne pourrait-on faire disparaître du secondaire les sciences naturelles. Elles ne confèrent aucune formation de l'esprit et n'ont leur vraie place que dans l'enseignement supérieur. Au moment où j'écris, j'ai sous les yeux le manuel de sciences naturelles d'un de mes fils. Les organes reproducteurs du fucus y donnent lieu à de bien jolis croquis ! Mais plutôt que de connaître les organes reproducteurs du fucus, ne serait-il pas à la fois plus utile et plus formateur d'avoir quelque idée de la structure du budget ou du mécanisme de l'escompte ? En feuilletant ce manuel, j'apprends par hasard que « la rétine des rapaces nocturnes ne contient à peu près que des bâtonnets » et que « l'action accélératrice de l'orthosympathique cardiaque est normalement une action tonique permanente ». Tout cela est passionnant, à coup sûr, mais avoir quelque aperçu de la libération des échanges ou quelque notion de comptabilité publique ne vaudrait-il pas encore mieux ? Est-il vraiment nécessaire, interroge à juste titre M. Salmon, de connaître « les clauses du traité de Hunkiar-Skellessy ou les péripéties des conversations entre Bismark et Gortchakov » ? On nous objectera qu'existe au baccalauréat une section économique (T E). Elle n'est pratiquement pas connue. A Paris, sa préparation n'a lieu que dans deux ou trois établissements publics et je ne suis pas sûr que les établissements privés remédient à cette lacune. Or, de l'enseignement de l’Économie, on pourrait dégager un véritable humanisme, pleinement dans le sens de notre temps.

L'éducation de base indispensable pourrait aussi être donnée par la radio et la télévision. On est surpris, pour ne pas dire scandalisé, d'apprendre que la Télévision française ne consacre qu'une demi-heure par mois à l'économie. L'argument pour une telle démission est la crainte d'ennuyer. C'est ne pas comprendre que le grand public peut être vivement intéressé par les faits économiques dès lors qu'on les rattache à des préoccupations quotidiennes. D'ailleurs l'information économique consiste beaucoup moins dans un enseignement ex-cathedra des phénomènes proprement économiques, que dans le fait de dégager à propos des événements notamment politiques leurs conséquences économiques. L'information économique, ce n'est pas un cours où se succèdent en chapelet les néologismes : c'est Rotschild apprenant la défaite de Napoléon à Waterloo et en tirant les conséquences qui lui permirent d'édifier en fortune.

Rendre les Français aptes à bénéficier de l'information économique est sans doute une tâche ardue. Elle suppose des changements d'habitudes, en particulier de la part de notre très conservatrice Université, qui varie ses programmes tous les ans, mais comme les femmes « retapent » leur chapeau en déplaçant le plumet : sans jamais, en tous cas, se plier aux exigences d'un temps entièrement nouveau. Elle en suppose aussi dans une forteresse politique comme la Radio-Télévision française. Mais je rappellerai la phrase de M. Sauvy : avec une meilleure information économique, depuis trente ans, le niveau de vie des français serait deux fois plus élevé. A ce prix seulement aussi notre pays demeurera un État moderne, il restera dans le peloton de tête des pays économiquement développés. Mais nous avons vu également quel clivage social l'accès à l'information économique est en train de créer. Il est tel que sans une beaucoup plus large diffusion de cette information, on ne peut parler de démocratie économique. De cette diffusion dépend le point de savoir si nous sombrerons dans la dictature technocratique de quelques hauts fonctionnaires et de quelques cadres supérieurs de grosses entreprises ou si les masses accéderont au contrôle de leur pays.

Démocratie économique ou démocratie tout court, quand les grandes options de la politique sont principalement économiques ; quand notre diplomatie vire autour de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun ; quand la coexistence entre l'Est et l'Ouest prend des allures d'une compétition au mieux être et, accessoirement, d'une lutte pour la conquête des débouchés ? En politique intérieure, l'élaboration et l'adoption du Plan sont un fait beaucoup plus riche de conséquences que ceux sur lesquels se livrent les batailles électorales. La politique est malheureusement en France beaucoup plus affaire de passion que de raison, mais justement parce que faute d'une information suffisamment diffusée, elle se joue sur des problèmes ou bien faux ou bien secondaires. Cette passion est fille des simulacres. Il est typique et un peu triste, que le Plan n'ait pratiquement pas été discuté au Parlement et qu'en fait députés comme citoyens n'aient exercé aucun contrôle. La politique formelle est devenue quelque chose comme un culte désaffecté en marge de laquelle s'exerce la vraie politique.

Trois mille publications économiques, mais un pays qui ne les lit guère risquant à cette démission le bouleversement de ses structures et même sa liberté : l'information économique n'est-elle pas un de nos problèmes sociaux ?

 


47 JO des Rapports et Débats du Conseil Économique et Social, année 1963, n°5, 23 mars 1963.